Naturellement
enclin à croire l'homme (en majorité) bon, je constate
que les bonnes intentions présentées dans les plaquettes
sont sincères. Les collectivités territoriales sont
souvent gérées par des personnes motivées par
le bien-être de leurs administrés et par la prise en
compte sérieuse des deniers publics.
L'architecture présentée ici n'est pas à mettre
en cause. Les auteurs des projets sont de bons architectes sachant
construire des édifices dans lesquels les habitants pourront
mener la meilleure vie possible, leurs réalisations déjà
livrées dans d'autres lieux attestent ce fait. Je n'ajouterai
rien à ce sujet.
Le problème, c'est que l'architecture n'est pas un bien de
consommation et ni, par là, un moyen de communication.
Cependant, la ville d'Evry s'en sert. L'époque, malgré
tout, change et des petits malins inconscients espèrent que
leurs idées basées sur du pas-grand-chose vont transformer
ce qu'il y a de plus profond dans l'homme : les fondamentaux de
la vie.
"je vais vous vendre de la vie en me servant de l'architecture
comme référence". Cet argument de vente va vous
faire croire que l'architecture fera de vous quelqu'un de reconnu,
apprécié voire, envié de ses amis, ses collègues
de bureau, de sa famille. Les fondamentaux de la vie, disais-je,
ne se situent pas là. Rien de cela n'est plus vain. Et ce
qui est terrible, c'est de croire, encore et encore, que la vie
est dans ce que l'on achète, cette fois-ci, non des objets
ou du temps libre, mais des appartements.
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Architecture mon amour…
D'abord, quelques formules extraites des prospectus de vente :
"Un nouveau cadre de vie
au cœur d’Evry"
"Un ensemble urbain aéré"
"Les différents types de logements se trouvent associés
dans un cadre, à la fois urbain et paysager, dont le fonctionnement
privilégie le bien-être et la convivialité."
"Notre ambition est d’insuffler, en ce lieu, une dynamique
nouvelle pour que chaque habitant profite pleinement de la qualité
de vie dans un centre urbain vivant et animé"
Le côté officiel de la puissance administratrice y
va également de son couplet :
"Soucieuse de préserver ses multiples atouts, ainsi
que le bien-être de ses habitants, Evry rénove aujourd’hui
son centre-ville, afin d’offrir un cadre de vie agréable
à tous."
"Le Quartier de l‘Hôtel de Ville bénéficie
de deux grands parcs, Parc de Coquibus (20 ha) et Parc Henri Fabre
(15 ha), et offre un espace de vie qualitatif pour tous."
(Qu'est-ce qu'un "espace de vie qualitatif pour tous"
?)
"Chaque résidence se distingue par une architecture
différente pour offrir plus d’identité et d’individualité
à chacun des logements, dans le cadre d’un ensemble
harmonieux".
Là, il faut comprendre que l'architecture et l'urbanisme
nés des principes du mouvement moderne (comprendre "les
grands ensembles") ont écrit une leçon que l'on
a désormais bien apprise : plus jamais d'uniformité
dans des barres et des tours HLM….:
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Ce
que l'on appelle les "grands ensembles"
Il s'agit, vous l'aurez deviné, d'ensembles de logements,
plutôt grands. Je dis ça, non pour la galéjade,
mais pour bien faire saisir l'importance du changement urbain que
ces entités représentaient. "Ensembles",
des logements constituant, de par leur uniformité, tant morphologique
que typologique, une unité, l'"ensemble" faisant
disparaître le "particulier", le dessin de l'architecture,
rapidement dessinée, rapidement construite et rapidement
habitée était guidé, disais-je, par les principes
du "Mouvement Moderne". Plus que les principes "techniques",
ce furent les principes essentiels, qui furent écrits : la
lumière, l'air pur, le soleil, l'espace, l'hygiène…
Comment être contre ça ? "Grands Ensembles",
également parce que les ensembles regroupaient plusieurs
milliers de logements en un seul ensemble, et que l'époque,
oublieuse de l'Histoire, trouvait que cela faisait beaucoup d'un
coup.
Pour finir cette digression, il est, clair que "Grand Ensemble"
faisait certainement référence à un ensemble
de population d'individus "identiques", mis "ensembles"
dans des citées bâties en banlieue. Masses de population
appelées à travailler dans les industries voisines,
là encore, un classement en typologie et, peut-être
plus ambigu, en morphologie, basé sur l'uniformité,
la similitude, l'absence de reconnaissance de la différence.
Cette absence de différence avouée s'est trouvé
vérifiée, plusieurs dizaines d'années après,
par le rabotage social inhérent aux différentes crises
économiques, les grands ensembles devenant souvent l'étage
ultime de la descente, abritant une population rendue "unique"
par ses caractéristiques de pauvreté et d'origines.
On sait comment ça a fini, et comment ça dure encore,
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je ne résiste pas, pour continuer
dans la joie, à vous faire partager ce dernier extrait écrit
en novlangue communicato-publicitaire
"Les appartements d’Horizon
Sud sont tous orientés de façon à bénéficier
d’un ensoleillement maximum. Lofts, duplex, terrasses, loggias…
Horizon Sud privilégie les belles surfaces agréables
à vivre. Ici, espaces intérieurs comme espaces communs
sont conçus dans un véritable esprit de confort."
Difficile d'être contre ça, ici également…
On pourra comparer les formules employées, le ton des phrases
à celles de publicités pour d'autres produits :
"La joie d’être émerveillé"
(Une marque de voitures bavaroises)
"Echanger les sourires et les rires de la vie / La vie, la
vraie" (De la grande distribution)
"Nous soutenons votre audace d'entreprendre" (Une banque
proche du peuple)
"Demandez plus à votre argent" (Une banque située
dans le département du Rhône).
Globalement, ce jargon commence à me donner une certaine
nausée, l'enflure langagière est désespérante.
Enflure langagière doublé d'un déni iconographique
et, je pense, volontariste ; en effet, si je parlais, plus haut,
du nécessaire raccourcissement / écrêtage de
la vision d'une population, vouée à habiter les grands
ensembles, il y a, dans les dessins d'ambiance de la plaquette de
vente d'"Evry-Horizon", la même volonté,
le même aveuglement quant à la représentation,
et donc la volonté d'uniformiser les futurs habitants.
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la
volonté d'uniformiser les futurs habitants
Mais, cette fois-ci, tendance jeunes, beaux, blancs, et un peu
riches. Tous sont habillés de la même façon,
sportswear décontracté.
La couleur de peau est cependant un peu visible dans certaines petites
images se trouvant être, et ceci est intéressant, des
photographies, et non des dessins. Sans vouloir rentrer dans un
débat sur la représentation, remarquons que :
1.Si l'on n'est pas un super-pro, il est difficile de cacher la
réalité dans une photo,
2.Le blanc fait vendre et représente également le
client idéal,
3.Le noir et l'arabe ne peut être dessiné comme faisant
partie de l'image de vente, son invisibilité avouant son
absence sociale espérée, consciemment ou non.
Dans
ce combat d'arrière-garde, mené pour tenter de sauver
ce qui peut rester d'un modèle ayant (beaucoup) enrichi certains
et appauvri, par des emprunts sur 50 ans, des générations
de français, l'acharnement thérapeutique est partout
décelable. Ce système est au bout du rouleau.
Qu'il crève.
Qu'il crève, disais-je, car il fut vain à apporter
le bien-être et cette coquille vide, dans laquelle nos vies
devaient se lover et entasser tout ce que nous consommions ne représente
plus rien.
Ce qui est intéressant de noter, c'est que tout ce qui fait
qu'une ville, telle que nous la pratiquons, en tant qu'occidentaux
moyens, va peu à peu se calcifier, s'éroder et se
raréfier. En effet, il se passe en Grèce ce qui va
bientôt arriver ici : le massacre à la tronçonneuse
des services publics. La santé, l'éducation et, très
important lorsque l'on est, dixit la publicité (encore elle..)
:"…Par le RER : Depuis station Châtelet les Halles,
Direction Malesherbes Corbeil-Essonnes jusqu’à Evry.
Sortie station "Evry-Courcouronnes" (35-40 min)…"
Les transports, innervation d'une région, service public
fondamental pour la gestion d'un territoire en général
et de la vie de chacun, en particulier, lorsqu'on vit à Evry
et qu'on bosse à Paris…
Caramba, encore raté !
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